Conservation numérique de la grotte-abri de Peyrazet (Creysse, Lot)
Le modèle 3D comme objet conservatoire : exigences
Dans quelle mesure la reconstruction 3D du site peut-elle devenir un objet conservatoire ? En d’autres termes, quels attributs lui conférer afin qu’elle réponde aux exigences de la conservation ? On s’aperçoit que le modèle 3D, tel qu’envisagé ici par photogrammétrie, se prête par nature en grande partie à une telle vocation. Pour autant, nous dressons ci-dessous une liste de six caractéristiques que l’on doit considérer comme autant d’exigences liées à son statut de candidat-objet conservatoire. De fait et mécaniquement, ces exigences deviennent nos objectifs.
Ce film a été réalisé grâce à un financement de la DRAC Midi-Pyrénées, dans le cadre du relevé photogrammétrique du site.
Modèle 3D : X. Muth, de notre société partenaire Get in Situ.
Réalisation : F. Lacrampe-Cuyaubère, Archéosphère.
Opération archéologique : M. Langlais, CNRS UMR 5199 Pacea.
Le modèle 3D doit être juste.
Mis à l’échelle, correctement orienté, géoréférencé, le modèle doit par ailleurs se voir pourvu de caractéristiques géométriques conformes à la réalité, c’est-à-dire que l’on doit pouvoir se fier aux mesures que l’on en tire.
De ce point de vue, un rigoureux contrôle de la qualité du modèle, à chaque étape de sa réalisation, est requis.
Le modèle 3D doit être opérable.
Par là nous entendons que les acteurs destinataires du modèle pourront l’explorer et le manipuler de manière intuitive sur leur machine usuelle, par le biais de logiciels gratuits (off line) ou d’un simple navigateur (on line).
Dans cette optique, la livraison de fichiers aux formats standards et de taille mémoire raisonnable est exigée.
Le modèle 3D doit être pérenne.
Cette question relève d’un problème général plus délicat : celle du caractère exponentiel de l’évolution des technologies de l’information en regard de celle des capacités techniques de stockage et d’opérabilité des structures administratives réceptrices et de leur cadre règlementaire. Course perdue d’avance, il conviendra néanmoins d’entreprendre une discussion sur ce thème, afin sinon d’anticiper, du moins de limiter dans la mesure du possible l’obsolescence inévitable des livrables numériques.
Le modèle 3D doit être synoptique.
À l’échelle raisonnable d’un site comme la grotte de Peyrazet, la capacité de l’apprécier dans son ensemble doit être recherchée. Nous opposons ici l’unicité du modèle numérique au caractère épars de la documentation traditionnelle (plans, photographies, descriptions) : alors que cette dernière implique de la part de celui qui la consulte une reconstruction mentale conduisant à une image idéalisée et fragmentaire, le modèle du site, considéré dans ce cadre comme une maquette numérique, est un objet directement visible dans son entièreté (et objectivement fidèle à la réalité, pour peu que l’exigence de justesse – cf. supra – soit respectée).
Sous forme d’un unique document, il se doit ainsi de littéralement constituer le cliché exclusif et total de l’état des fouilles à leur fin, regroupant et révélant d’un seul coup d’œil et sans schématisation ses composantes traditionnellement dispersées (e.g. extension latérale, altimétries, localisation et puissance des coupes et témoins, morphologie et disposition de l’exokarst environnant, colorimétrie des lithostratigraphies).
Le modèle 3D doit être exploitable dans une perspective d’étude.
Corollaire des deux premières conditions — justesse et opérabilité, et une fois encore par opposition à la documentation classique, le modèle 3D autorise la production a posteriori d’une documentation de terrain inédite. En effet, un nombre non restreint de profils, de plans, de modèles numériques de terrain ou d’orthophotographies de coupes ou de décapages peuvent être facilement générés, en post-fouille, à partir de l’unique document que constitue le modèle 3D.
Compte tenu d’une situation au sein de laquelle le site réel est temporairement inaccessible – non visitable comme cela sera la cas à Peyrazet – on ne pourra que trop insister sur l’intérêt que présentera la possibilité d’effectuer malgré tout une topographie complète du site, ou celle, pour un futur archéologue désireux d’y relancer une opération programmée, d’envisager à partir d’un tel document sa stratégie de reprise. Hors ce cadre, nous ne ferons par ailleurs qu’évoquer l’intérêt indiscutable que porte la mise à disposition d’un tel document au profit du service archéologique, dans le cas d’une opération préventive où la destinée ultime du site est sa destruction. Enfin, l’intégration du substrat photogrammétrique aux autres données archéologiques spatialisées, dans le cadre d’un système d’information géographique en trois dimensions entrouvre des perspectives analytiques excitantes.
En terme d’exigences, outre justesse et opérabilité telles que précédemment évoquées, on s’attachera en pratique à construire un modèle d’une précision suffisante pour répondre à celle des produits que l’on envisagera en sortie. Pour exemple, la production d’orthophotographies locales (e.g. une coupe) nécessitera des prises de vue rapprochées. Dans ce cas comme dans d’autres, la résolution exigée en sortie doit être discutée en amont puisque elle impacte non seulement la manière de construire le modèle mais surtout l’acquisition sur le terrain : une réflexion anticipée d’autant plus nécessaire qu’une fois encore, tout retour postérieur sur site est exclu à moyen-long terme.
Le modèle 3D doit être exploitable dans une perspective de valorisation.
Si le modèle 3D se doit d’être un support de l’étude, ce même modèle peut et doit parallèlement constituer un objet de valorisation en direction de la communauté scientifique et du public. Ici, un même objet pour deux exploitations : si l’on en tirera un plan altimétrique, on l’utilisera également pour produire une visite virtuelle navigable ou une vidéo, disponible depuis le web ou installée sur une borne muséale.
Les précautions à prendre pour atteindre cet objectif recoupent en grande partie les impératifs précédemment évoqués. On y ajoutera naturellement la recherche d’un certain esthétisme : cet objectif impactera donc la prise de vue sur le terrain. Si les jeux de clichés devaient déjà satisfaire aux exigences du photogrammètre, ils devront donc également constituer de bonnes photographies au sens classique. Un travail de retouche radiométrique paraît en outre évident.
Cette réflexion préparatoire sera susceptible d’être affinée et complétée. Dans l’immédiat, elle pose les jalons d’un cadre opératoire suffisamment serré pour prétendre à la réalisation de ce modèle en tant qu’objet conservatoire. En synergie avec la protection physique du site et de l’état des fouilles à leur issue, sa mise en œuvre nous permet d’envisager l’ensemble comme une action de conservation complète, livrant au service archéologique, à la communauté scientifique, au public et aux archéologues qui reprendront des travaux sur ce site, un état des lieux de qualité optimale.