Rue Lamartine

Localisation : Sains-en-Gohelle (Pas-de-Calais)
Année(s) d’intervention : 2008-2009
Aménageur : Sébastien PETIT (particulier)
Thématique : Nécropole du haut Moyen Âge, puis cimetière médiéval et chapelle funéraire

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Notice scientifique

Le site fouillé au 227, rue Lamartine à Sains-en-Gohelle correspond à l’extension sud de l’occupation médiévale fouillée par Archéopole (dir. H. Assémat) début 2008. Dans le cadre de l’aménagement du lotissement « Chemin de campagne » par la société AGEA, l’équipe d’Archéopole avait en effet caractérisé un site daté de la fin du haut Moyen Âge constitué de deux aires funéraires de 400 et 270 m2 associées à des structures artisanales et agricoles de part et d’autre d’une grande voie d’axe sud est-nord ouest. L’aire cimetériale la plus grande était aussi la plus dense avec un individu par mètre carré. C’est cette aire qui se poursuit sur la parcelle de M. Sébastien Petit au 227, rue Lamartine.

L’équipe d’Archéosphère (dir. C. Beauval) a fouillé les 480 m2 de l’emprise du projet de construction d’une maison (moitié est de la parcelle) pendant 8 mois avec une équipe de 12 à 27 personnes. 1262 structures archéologiques ont été recensées caractérisant essentiellement une chapelle et une aire funéraire (1167 fosses) ayant fonctionné du haut Moyen Âge à l’époque moderne. Deux silos ont également été découverts : le premier est totalement arasé et le second est un grand silo d’un volume de 14 m3.

La problématique de cette fouille s’articule autour de l’implantation de la nécropole, de son fonctionnement, et de son évolution en cimetière en relation avec l’édification d’une chapelle.

Les jalons chronologiques sont peu nombreux. À de rares exceptions, les défunts sont inhumés sans aucun mobilier d’accompagnement. Les quelques tessons de céramique et les fragments osseux découverts dans le comblement des tombes sont des dépôts résiduels qui ne reflètent que des activités périphériques. En revanche, les nombreux recoupements d’une part, et les modifications des modes d’inhumations et de l’architecture des tombes d’autre part, nous donnent de précieux éléments de phasage.

La plus ancienne trace d’occupation date de la Tène D2. Il s’agit d’une monnaie bellovaque dite Bronze au lion (détermination J.-M. Doyen) découverte dans le comblement d’une sépulture. Deux monnaies antiques du début du IIIe siècle et de la fin du IVe siècle de notre ère ont aussi été découvertes dans des contextes similaires.

Les premiers éléments directement associés aux structures datent de fin VIIe–début VIIIe siècle. Il s’agit de deux monnaies anglo-saxonnes et de deux fibules en forme de croix et décorées d’ocelles (étude M. Brunet). Ces objets sont associés à des défunts inhumés sur le dos, les bras en extension, dans de grandes fosses rupestres. Trois dates 14C réalisées par Beta Analytic sur les individus des sépultures 112, 736 et 1050 de même architecture funéraire, couvrent aussi les VIIe et VIIIe siècle. Les tombes sont alors organisées en rangées orientées nord-sud. Dans une de ces tombes, nous trouvons le seul dépôt intentionnel : un pot globulaire placé près de la tête et contenant des charbons de bois (étude L. Alonso).

Les trous de poteaux caractérisant l’implantation d’un premier édifice en bois recoupent certaines de ces sépultures. Ce bâtiment repose sur six poteaux au moins et est orienté N106°. Il est possible qu’un chevet en bois plus étroit jouxte cet ensemble à l’est. S’il a existé, ce chevet est remplacé dans la première moitié du IXe siècle au plus tard par un chœur carré posé sur des fondations en craie damée formant ainsi une chapelle à chevet plat. Dans ce chœur, deux individus orientées N20° et N30°, têtes au sud, sont inhumés sur le dos les bras en extension.

À ce moment semble apparaître un nouveau mode d’inhumation où les défunts sont déposés dans des tombes anthropomorphes, les mains sur le pubis ou l’abdomen.

Puis cet édifice subit une nouvelle transformation. Une nef se développe à la place de la partie en bois. Des murs maçonnés de 120 cm d’épaisseur embrassent les murs du chœur. Une abside est accolée à l’est du chœur qui, par ailleurs, est consolidé par deux piliers internes au nord et au sud. Le nouvel édifice mesure 18 m de longueur pour 8 m de largeur. Sa construction est terminée au plus tard au début du XIe siècle. Les tranchées de fondation ont recoupé des tombes (rectangulaires ou anthropomorphes) dont les os ont été ré-inhumés dans un grand ossuaire situé au centre de la nef.

Cette période correspond au maximum d’utilisation de l’aire funéraire. Les défunts sont toujours inhumés dans des tombes anthropomorphes, mais l’orientation générale des sépultures est influencée par la direction de la chapelle. À l’extérieur des murs, l’organisation générale des tombes est difficile à percevoir. Nous n’observons plus d’alignement en rangées mais constatons une intensification des inhumations le long des murs, notamment autour du chœur. Au sein de la nef, les fosses sont creusées dans la partie périphérique, à l’exception d’une sépulture double au centre de cette dernière. C’est en association dans une tombe anthropomorphe datée du XIe ou du XIIe siècle que nous avons découvert le seul endotaphe en place. Deux autres inscriptions ont été recueillies dans les comblements de deux autres tombes. Ces tablettes sont taillées dans de la craie blanche, la plus grande mesure 127 x 100 x 25 mm. Deux de ces pièces ont été découvertes au chevet de la chapelle et la dernière est située dans la partie sud de la nef. Au moins deux indiquent l’inhumation de prêtres, la dernière reste toujours énigmatique. Nous pouvons aussi rattacher les tombes en coffrage en pierre à cette phase. C’est également à cette période que le grand silo est creusé au nord ouest de la nef. Ce dernier a fait l’objet d’aménagements successifs dont témoignent des cuvelages en bois.

À partir du XIIIe siècle, les inhumations de très jeunes enfants se multiplient. Ils sont particulièrement abondants le long des murs de la nef, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Au cours du XIVe siècle se développent les inhumations en cercueil. Les défunts sont alors souvent inhumés avec les mains posées sur le thorax. Les alignements de tombes sont encore visibles, parallèles ou perpendiculaires aux murs de la chapelle. À l’intérieur de la nef, les cercueils sont enterrés dans la partie centrale. Un corps est enterré dans le chœur de l’église (SP 198), c’est la troisième et dernière personne à bénéficier de ce privilège.

Les dernières inhumations sont pratiquées en pleine terre, les corps étant protégés par un linceul. Les épingles ont une tige de 15 à 30 mm de longueur et une tête constituée d’un fil enroulé autour d’une extrémité, formant 2 à 2,5 spires. Certaines tiges sont étamées. Ces épingles sont connues à partir du XIIIe et deviennent fréquentes au XVe siècle. Une datation 14C nous donne un âge compris de la fin du XVe siècle au début du XVIIe siècle.

Ainsi, l’aire funéraire aurait fonctionné pendant près d’un millénaire. Les individus inhumés correspondent à une population paroissiale, même si le recrutement semble se modifier au cours du temps. L’apparition des très jeunes et des périnatals au cours du XIIIe siècle pourrait être mis en relation avec le développement du phénomène du répit. La taille de ce cimetière (plus de 1500 individus sur les 1100 m2 fouillés par les deux équipes de fouille) paraît très importante au regard des données d’archives (22 feux à Sains en 1422). Il faut donc imaginer un recrutement en dehors des limites de la paroisse. D’après son cartulaire, l’abbaye de Saint-Aubert-de-Cambrai devient titulaire d’un autel à Sains seulement à partir de 1146 et, dans le partage de la dîme, aucune mention n’est faite d’un lieu de culte vers l’actuel Petit Sains. Cependant, les cartes du XVIIIe siècle attestent de la présence d’une chapelle à l’emplacement de notre découverte. Sur la « Carte d’Artois et des environs, où l’on voit le ressort du Conseil Provincial d’Artois », réalisée en 1704 par Guillaume de l’Isle est mentionnée une « chapelle de Sains ruinée ». Cette chapelle ruinée apparaît également sur des cartes de 1711, 1713, 1740 le long de l’axe principal entre Arras et Béthune.

Par ailleurs, le cadastre napoléonien pourrait avoir conservé les traces de l’enclos paroissial relatif à notre église (parcelles 313, 314, 315, 316). Celle-ci se situe à peu près à égale distance des bordures de ces parcelles. Par le canon 10 du XIIe Concile de Tolède (681), le périmètre d’asile ecclésiastique est fixé à trente pas autour de l’édifice consacré. Progressivement, on assiste à une affirmation du caractère funéraire de cette espace avec une matérialisation par de véritables enclos à partir de la fin du Xe siècle. On aurait ainsi la délimitation d’une aire sacrée dans laquelle s’inscrit l’espace cimetérial. Un fossé mis au jour par l’équipe d’Archéopole pourrait correspondre à l’une des limites de l’aire funéraire. Dans cette hypothèse, le cimetière de la rue Lamartine à Sains-en-Gohelle serait fouillé sur moins de la moitié de sa superficie.